Regrettant que "le message adressé par les Français lors des municipales n'ait pas été entendu", Eva Sas conteste, au nom du groupe écologiste, la trajectoire budgétaire proposée par le gouvernement, qui vise à atteindre les 3% de déficit dès 2015. Un rythme dont elle redoute les conséquences sur l'emploi, et qui ne prend pas en compte "la demande d'inflexion" que les électeurs de la majorité ont, en mars, exprimée. Le programme de stabilité de la dépense publique et la réduction de la dette va en outre, explique-t-elle, à contresens de "l'Europe que nous voulons".
Monsieur le Premier ministre,
Chers collègues,
Le 30 mars dernier, les Français nous ont adressé un message. La question qui nous est posée aujourdhui : ce message a-t-il été entendu ?
Je vous le dis, les écologistes nen ont pas limpression. Vous nous proposez une trajectoire de réduction des déficits qui maintient lobjectif de 3 % en 2015, qui maintient le plan déconomie de 50 milliards sur 3 ans et qui maintient les mesures dallègement de la contribution des entreprises à la protection sociale. Ces propositions prolongent, voire accélèrent la politique que les Français ont pourtant massivement rejeté le 30 mars dernier. Les écologistes, parce quils attendaient, comme les Français, une inflexion de la politique gouvernementale ne pourront vous suivre sur ce chemin.
De ce programme de stabilité, nous questionnons dabord le rythme de réduction des déficits.
Dabord parce quun effort sans précédent a déjà été fait, et que ses conséquences sur lemploi ont déjà été et seront plus encore demain négatives.
Les écologistes ne sous-estiment pas les risques liés à la dette et la nécessité de garantir des taux dintérêt faibles, alors que nous empruntons 174 milliards par an et que la charge de la dette est le deuxième poste de dépenses de lEtat avec 45 milliards deuros. Mais des réponses ont déjà été apportées, dabord grâce à lévolution de la position de la BCE et la mise en place du Mécanisme européen de stabilité qui garantissent de fait aujourdhui la dette des Etats, ensuite en réduisant notre déficit structurel de 4,2 points sur la période 2010-2013. Un effort sans précédent dont limpact estimé sur le chômage aura été de 3 points. Aujourdhui, 3 millions 600 mille personnes sont sans emploi avec les conséquences que lon sait pour leurs familles. Notre priorité commune aujourdhui ce doit être lemploi. Or le Haut Conseil des Finances Publiques, lui même, souligne que leffet attendu du pacte de responsabilité sur lemploi pourrait être insuffisant pour compenser limpact négatif de la consolidation budgétaire. Un assouplissement du rythme de réduction des déficits nous apparaît, de ce fait, absolument nécessaire.
Et ce dautant plus que la réduction à marche forcée des déficits, cumulée avec les allègements des cotisations des entreprises, pèse à la fois sur le pouvoir dachat des ménages et sur linvestissement public.
Sur les ménages dabord, qui ont vécu dans ce premier temps de mandature, une hausse de la fiscalité. Certaines mesures étaient de lordre de la justice sociale, je pense notamment à la barémisation des revenus du capital, ou à laugmentation du taux marginal dimpôt sur le revenu. Ces mesures nous les avons soutenu et nous avons même regretté pour certaines quelles naillent pas assez loin.
Mais dautres ont touché les ménages plus modestes, le gel du barème, la suppression de la demi-part pour les personnes isolées, la hausse des cotisations retraite ou la hausse de la TVA.
Les ménages ont donc dabord subi les hausses dimpôt, ils vont subir à présent le gel des prestations sociales. Les mesures que vous avez annoncées hier, notamment le non report de la revalorisation des retraites jusquà 1200 euros et le respect de la mise en uvre du plan pauvreté vont dans le bons sens, mais faut-il se réjouir outre mesure quon ne dégrade pas plus encore la situation des plus précaires dans notre pays ? Lensemble des ménages eux continueront à être touchés, notamment au travers du gel de la revalorisation des allocations et des retraites.
Et encore cet effort pourrait-il être compris, sil était équivalent pour les entreprises et pour les ménages. Mais quand les entreprises bénéficient de 30 milliards dallègements, les ménages modestes eux ne pourront en espérer que 5.
Et encore cet effort pourrait-il également être compris sil était mis au service dun projet. Mais quel est aujourdhui le projet pour la France ?
Nous écologistes, nous vous proposons depuis le début de la mandature de travailler autour dun projet, celui de la transition écologique. La transition écologique, cest laisser à nos enfants une planète vivable où lalimentation est saine, où lon ne sacrifie pas la santé sur lautel de la surconsommation, où lair est respirable, où lon ne subit plus, sans rien faire, des évènements climatiques violents répétés, ou lon prépare léconomie de demain, une économie qui nest pas dépendante de ressources de plus en plus rares, comme le pétrole ou luranium.
Mais pour cela, il faut une politique dinvestissement. Et nous lavons dit, cette politique daustérité ne nous laisse pas les marges de manuvre nécessaires pour investir, et il ny aura pas de transition écologique sans investissement public. Ce nest pas le seul outil à notre disposition, nous devons aussi développer les normes, les incitations fiscales, mobiliser lépargne privée, mais cest la responsabilité des pouvoirs publics dinvestir aujourdhui pour préparer léconomie de demain. Des investissements qui dailleurs sont et seront en grande partie rentables. Mais que voit-on depuis deux ans ? La priorité absolue donnée à la réduction des déficits, cumulée aux allègements de charges des entreprises, a signé larrêt de toute politique dinvestissement écologique.
Alors quen 2009 et 2011, en plein cur de la crise, lEtat consacrait encore 1,4 milliard deuros aux projets de transports collectifs, en 2014, le 3ème appel à projet a été annulé signant ainsi larrêt du soutien de lEtat au développement de la mobilité durable. Il ne sagissait pourtant que de 450 millions deuros.
Si nous voulons atteindre lobjectif que nous nous sommes fixés, disoler 500 000 logements par an, si nous voulons développer les énergies renouvelables, et notamment léolien off-shore et le solaire photovoltaïque, nous avons besoin dinvestissement. Et nous vous le répétons inlassablement, cet investissement sera fortement créateur demplois, 330 000 emplois dici 2030 selon le débat national sur la transition énergétique. Cest lun des chemins de la sortie de crise, et ce programme de stabilité ne nous permet pas de le suivre.
La troisième réserve que nous exprimerons sur ce programme de stabilité, cest la nature des économies que vous proposez. Autant nous serons daccord pour dire que des économies sont possibles et nécessaires. Autant les mesures que vous proposez, et je pense notamment au gel des prestations sociales, nous paraissent des économies de court terme alors que des réformes de long terme, des réformes réellement structurelles en définitive, sont nécessaires.
Et je citerai deux pistes parmi de nombreuses possibles
- le désengagement de la dissuasion nucléaire dont le coût total est de 3,5 milliards deuros et dont la simple suppression à court terme de la composante aéroportée permettrait déconomiser 300 millions deuros ;
- Et plus important encore, si lassurance maladie doit être réformée, cest en passant dune politique de soins à une politique de santé, et en particulier à une politique de prévention. Le surcroît de dépenses médicales suscitées en 6 ans (2003-2009) par la hausse des cancers, du diabète et des maladies cardio-vasculaires, une fois corrigés de lévolution de la population, a été en France de 9,9 milliards deuros, soit un montant nettement supérieur au déficit actuel de lassurance maladie. La crise de la Sécu est donc en grande partie une crise sanitaire. Lenjeu principal de lassurance maladie ne doit-il pas être dendiguer cette explosion des maladies chroniques qui touchent toutes nos familles et grève le déficit des comptes sociaux ?
Au lieu de cela, vous nous proposez des économies de court terme qui vont toucher les prestations sociales. Et les collectivités territoriales.
Nul ne nie que des économies peuvent et doivent être réalisées dans certaines collectivités territoriales. Les écologistes sont dailleurs les premiers défenseurs de la simplification des échelons territoriaux, et lobjectif qui nous réunit tous est la meilleure efficacité de la dépense publique. Néanmoins, nous noublions pas que les collectivités sont aujourdhui le premier moteur de linvestissement public en France. Un investissement dont les Français ont besoin car cest leur qualité de vie quotidienne qui est en jeu : transports collectifs, équipements sportifs et culturels, centres sociaux, maisons de quartier, accueil de la petite enfance. Or le gel des dotations aux collectivités territoriales entre 2011 et 2013 se traduit dès aujourdhui par un recul de leurs investissements. Ceux-ci devraient reculer de 5,6% en 2014. Comme elles portent 70% de linvestissement public, cela signifie déjà un recul de 3,9% de linvestissement public en France en une seule année. Et pourtant, vous nous proposez, dans ce programme de stabilité, non plus un gel, mais une baisse de ces concours financiers de lEtat aux collectivités territoriales de 1,5 mds en 2014, puis 11 mds entre 2015 et 2017. Dans ces conditions, la dernière étude de la Banque Postale montre que le recul des investissements des collectivités locales pourrait atteindre 35% en 2017.
Ce nest donc ni sur les prestations sociales, ni de façon indifférenciée sur les collectivités territoriales quil fallait proposer des économies mais par des réformes de long terme qui ne sont aujourdhui quesquissés.
Enfin et cest peut-être le point le plus important pour nous, écologistes, ce programme de stabilité, tel que vous nous le proposez, nest pas compatible avec notre projet européen. Car la politique dallègements de charges pour les entreprises que vous souhaitez mettre en oeuvre, ce nest pas pour concurrencer nos amis indiens ou chinois. Vous le savez, un indien gagne en moyenne 28 fois moins quun salarié français, et le pacte de responsabilité ne représentera quune baisse de 4 % du coût du travail. Non, ce que vous engagez là cest une compétition contre nos partenaires européens, une course à celui qui aura le coût du travail le plus faible pour grappiller quelques parts de marché. Avec ce pacte, nous rentrons donc là dans une compétition déflationniste contre nos partenaires européens. Est-ce là le projet que nous avons pour lEurope ? La compétition de tous contre tous ? La voix de la France ne devrait-elle pas sélever au contraire en Europe pour demander lassouplissement de cette politique daustérité généralisée et lharmonisation sociale à la hausse pour éviter le dumping social intra-européen?
En conclusion, vous lavez compris, Monsieur le premier ministre, nous ne pourrons soutenir votre programme de stabilité
Parce que le rythme de réduction des déficits que vous nous proposez pèse de façon trop lourde sur lemploi
Parce quil ne nous laisse pas de marges de manuvre pour financer des mesures en faveur des ménages les plus modestes, ni les investissements nécessaires dans la transition écologique,
Parce que notre projet européen, ça nest pas, et ça ne peut pas être, la compétition déflationniste.
Je vous remercie