« La transition énergétique, c’est l’heure de vérité pour la majorité »
La loi de transition énergétique est présentée comme LE rendez-vous du quinquennat pour les écologistes. Mais en quoi est-elle si essentielle à vos yeux ?
La loi de transition énergétique, ce doit être la concrétisation des engagements du président de la république : même si c’est un vrai challenge du point de vue de la technique juridique (car le spectre de la question est large, et les enjeux financiers, législatifs et réglementaires nombreux), c’est avant tout la traduction dans la loi de deux options : la baisse des consommations énergétiques d’une part, et le passage des vieilles énergies aux énergies renouvelables d’autre part.
Ce rendez-vous est essentiel parce qu’il permet tout à la fois de répondre à un impératif environnemental (une énergie à la fois moins carbonée, moins productrice de gaz à effets de serre et moins risquée du point de vue de la sécurité) et à un enjeu social (la transition doit signifier des gains significatifs de pouvoir d’achat et créer des emplois durables et non délocalisables). Au moment où l’économie est en berne, c’est dans les filières les plus intensives en emplois qu’il faut concentrer les investissements. C’est précisément le cas des énergies renouvelables, de la réhabilitation thermique des bâtiments, des transports collectifs…
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Si vous deviez résumer les enjeux en une phrase, vous diriez quoi ?
Cela passera en premier lieu par des mesures fortes pour moins gaspiller notre énergie (c’est l’enjeu de l’efficacité énergétique), ensuite par des aides au développement rapide des énergies renouvelables, et enfin par la baisse programmée de la production d’électricité d’origine nucléaire.
« Enfin » ? Mais c’est pourtant par cela que débutent généralement toutes les discussions sur cette loi. Ce n’est pas avant tout la loi de la sortie du tout-nucléaire ?
Oui, j’ai dit « enfin », parce que le mécanisme qui à la fois amène à consommer moins d’énergie et à changer les modes de production énergétiques est une condition nécessaire pour qu’on sorte de cette technologie dépassée et bien trop dangereuse. Si on n’agit pas sur ces leviers, l’objectif de la fermeture d’un tiers de notre parc nucléaire d’ici 2025 sera un simple slogan.
Une partie de la droite fustige déjà une transition couteuse pour les finances publiques, en une période de vaches maigres pour l’Etat…
On se focalise trop sur la seule question du coût. En oubliant que ne rien décider, ce serait laisser filer – pour aucun bénéfice- les dépenses publiques et privées en matière d’énergie. La facture pétrolière de la France atteint 70 milliards d’Euros. Dans le domaine électrique la dépendance est quasi-totale. Non seulement l’uranium est importé à 100% mais, pire, le mythe de l’électricité nucléaire bon marché (qui a incité à un gaspillage insensé) s’effondre. Le nucléaire, en plus de présenter un risque de sûreté, a également un coût et un coût qui ne cesse d’augmenter : à la fois le coût de fonctionnement des centrales existantes et le coût de l’investissement destiné à maintenir les installations à niveau ou dans de nouveaux réacteurs comme l’EPR.
Pour les finances publiques, le pouvoir d’achat des ménages, les industries consommatrices d’énergie et celles qui produisent des biens de consommation énergivores, notamment l’automobile, la transition énergétique n’est pas un risque mais un atout. C’est la « non transition » qui serait au contraire suicidaire. J’ajouterais qu’un certain nombre de mesures à engager, d’ordre réglementaire, ne coûtent rien à la collectivité.
Sans coût pour la collectivité ? Vous avez des exemples ?
Un exemple en matière de consommation ? eh bien favoriser des transports moins énergivores, ça relève de questions réglementaires : permettre que des voies de circulation soient réservées aux véhicules « propres », que les tarifs de stationnement soient adaptés en fonction de la consommation des véhicules et de la pollution qu’ils génèrent, adapter les tarifs des autoroutes au nombre de passagers, afin de favoriser le covoiturage… Tout cela contribuera à la baisse de nos consommations énergétiques.
Pour ce qui est de la production, il faut absolument que la France procède à un choc de simplification sans précédent en faveur des énergies renouvelables. Les « libéraux » ont accumulé, notamment sous Sarkozy, des contraintes inouïes, qui n’existent nulle part ailleurs dans le monde, pour freiner le développement de l’éolien ou du solaire, par exemple. C’est le résultat du travail – terriblement efficace- du lobby nucléaire, mais aussi d’une tradition administrative qu’il faut aujourd’hui bousculer.
Dans le même ordre d’idées, il faut faire évoluer la loi afin que la fermeture de centrales nucléaires puisse demain être décidée par le pouvoir politique – et non laissée à la seule appréciation des exploitants. Aujourd’hui, c’est assez incroyable quand on y pense, pour ouvrir une centrale il faut une décision publique, Mais pour la fermer, c’est soit l’exploitant qui est décideur, soit pour des raisons de sureté à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire.
D’accord, mais il faudra également investir, non ? C’est possible aujourd’hui avec les contraintes financières fortes qui pèsent sur l’Etat ?
Ce que la loi doit permettre, c’est de faire fonctionner à plein un effet levier qui fasse que chaque dépense publique attire les investissements privés.
Deux exemples : aujourd’hui, seulement 3% des sommes déposées sur les livrets développement durable sont réellement utilisés pour financer des actions de développement durable. Il faut inverser cette tendance. De même, lorsqu’on parle isolation thermique des bâtiments, il est indispensable que pour une banque, prêter aux propriétaires soit plus attractif – car c’est rentable à moyen terme – que spéculer à court terme sur les cours de la bourse. Pour cela il faut adapter au droit français des dispositifs de garantie, de tiers-investisseur, etc. qui existent chez nos voisins.
Et il faudra également des investissements. Nous ne sommes pas aveugles devant les contraintes financières. Ce que nous visons, ce sont des investissements publics moins diffus, plus ciblés sur les activités qui participent de la transition énergétique. Le gouvernement a commencé avec les investissements d’avenir, sur la voiture à faible consommation, ou encore les agrocarburants de 2è et 3è génération. Quand l’argent public est rare, il faut en concentrer l’usage sur ces activités d’avenir. C’est bon pour l’emploi, et c’est la condition de la réussite de la transition énergétique.
On en est où, aujourd’hui, de la préparation de la loi ?
Tout près de la première étape formelle, qui est celle de la transmission du projet de loi au conseil d’Etat et au Conseil Economique et Social environnemental, qui doit intervenir début avril. Du grand débat sur la transition énergétique, qui avait rassemblé tous les acteurs, publics et privés, sont sorties de nombreuses propositions. Le gouvernement est en train de les traduire en textes législatifs. Nous savons que les réunions interministérielles se succèdent. On approche du moment de vérité…
Et l’ambiance est à l’espoir ou au doute ?
Là, nous sommes dans une période de stand-by, qui stresse un peu tout le monde, il faut bien le reconnaître. Nous sommes dans l’attente d’un signe politique fort, non seulement pour l’opinion, mais presque plus encore pour la technostructure administrative de l’Etat, qui est face à une vraie révolution de ses pratiques et de ses « réflexes acquis », si j’ose dire. Parce que des intentions aux actes, il y a ce travail des services de l’Etat, de la haute administration. Et on ne réussira cette traduction des objectifs en articles de loi que si une volonté politique forte parvient à s’imposer…
Vous attendez une expression plus forte du ministre de l’écologie, qui est aussi celui de l’énergie ?
La question n’est pas celle d’une « petite phrase », mais celle de décisions. Philippe Martin travaille au projet de loi. Avec sérieux et sans esbroufe. Des arbitrages seront nécessaires, dont certains, nous le savons, se feront au plus haut lieu, comme on dit. François Hollande ne s’exprime pas souvent sur ces questions énergétiques. Mais à chaque fois qu’il a eu à le faire, il a confirmé et précisé ses engagements en ce domaine. Il n’a jamais varié. Nous attendons de lui qu’il tienne cette ligne, jusqu’au bout, et dans ces arbitrages imminents.
Et dans ce stand-by que vous décrivez, que font les députés écologistes ?
Nous continuons à faire notre boulot, comme depuis juin 2012, pardi ! Nous avons participé activement au débat de l’an dernier. Nous sommes actifs au sein du groupe de travail du conseil national de la transition écologique, qui aide le gouvernement à préparer la loi. Nous posons régulièrement des questions au gouvernement, pour l’amener à préciser ses intentions, mais aussi pour l’alerter sur tel ou tel aspect de la problématique.
Je suis rapporteur d’une commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, créée sur proposition de notre groupe. Parce que cette industrie a réussi le tour de force de ne jamais rendre lisible le prix réel de l’énergie produite – en y intégrant tous les coûts annexes, comme ceux de la sécurité ou des déchets par exemple. Or, comment voudriez-vous avoir des débats sérieux sans données chiffrées véritables, pour orienter les investissements productifs en matière d’électricité ?
François de Rugy rédige un rapport sur la mise en œuvre des objectifs de réduction des gaz à effet de serre par la France. Là encore, il s’agit de disposer de données fiables pour évaluer la concrétisation de nos engagements internationaux – une obligation que la loi de transition devra prendre en compte.
Vous voyez, nous ne chômons pas ! Et nous nous préparons pour l’examen de la loi lorsqu’elle viendra au parlement…
A ce sujet, quel sera le circuit parlementaire de la loi ? Sera-t-elle examinée par une commission spéciale ?
Nous souhaitons effectivement une commission et un rapporteur spéciaux, afin de ne pas enliser l’examen du texte entre une commission des affaires économiques qui serait saisie sur le fond – car l’énergie en dépend encore aujourd’hui, ce qui n’est pas très cohérent avec la répartition des compétences ministérielles – et une commission du développement durable qui ne se prononcerait que pour avis… alors même qu’elle a la compétence des questions climatiques qui sont traitées par la loi. Mais la question n’est pas tranchée.
A vous entendre, et en comparant avec les échos de la loi dans les médias, on se dit qu’il y a également un sacré travail de pédagogie à mener, non ?
Cette pédagogie sur les objectifs et les bénéfices économiques, environnementaux et sociaux de la transition énergétique, nous y sommes pleinement engagés – c’est bien le moins qu’on puisse attendre des écologistes ! Mais pas que sur cette loi. Parce que si la loi dont nous parlons est essentielle, tout ne passera pas par elle : c’est toute la société – les collectivités locales, les entreprises, les particuliers- qui réussiront ou échoueront dans cette transition énergétique.
Et vous vous sentez optimiste, pessimiste ?
La question ne se pose pas en ces termes. Nous sommes vigilants. Et puis, vous savez, pendant que certains parlent d’un texte que personne ne connaît car il n’est pas écrit, nous ne sommes pas dans le commentaire. Nous sommes dans l’action.
Pleins d’énergie ?
Voilà ! (rires). Même si c’est vraiment nul, comme chute d’article !
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