VÉRONIQUE MASSONNEAU : « DERRIÈRE CE TEXTE DE LOI, IL Y A LA VIE D’HOMMES ET DE FEMMES »

C’est en somme ce qu’a voulu rappeler Véronique Massonneau à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Et c’est non sans émotions qu’elle a souhaité rappeler sa fierté de voter une loi de progrès et d’égalité.

 

« Et, s’il est une satisfaction, une fierté même, que nous pourrons tirer de notre participation à l’élaboration de la loi de la République, une seule, ce n’est pas dans les journaux, dans les comptes rendus des débats ou dans les sondages de popularité que nous la retrouverons, non, c’est ailleurs : dans la vie. » 

 

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Véronique Massonneau:

 

Nous abordons le dernier épisode du long feuilleton législatif de ce texte qui ouvrira très bientôt mariage et adoption aux personnes de même sexe. Chacun constate qu’à l’approche du dénouement, la tension monte. Non que les données du débat aient changé : au texte initial, rien n’a été ajouté, comme certains le craignaient ou comme d’autres, dont je suis, l’espéraient, puisque même la question de la PMA n’y est pas abordée. Des travaux parlementaires est sorti un texte amélioré dans sa rédaction et précisé dans ses dispositifs, mais qui porte exclusivement sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe et sur leur droit à adopter conjointement un enfant.

La tension dont je parle est un phénomène classique quand un débat fait se rencontrer des visions du monde, des conceptions de la vie et des convictions différentes. C’est humain.

Ce fut le cas lors du vote sur l’interruption volontaire de grossesse.

Ce fut le cas lors de l’adoption du Pacs.

C’est le cas aujourd’hui.


Notre rôle à nous, représentants du peuple, mais également responsables politiques – responsables : les mots ont un sens ! – est de ne pas faire durer inutilement cette tension. Quand tout a été dit, quand tous les arguments ont été échangés, quand l’issue du vote du Parlement ne fait plus aucun doute, il faut conclure. Nos collègues de l’UMP ont décidé d’utiliser pleinement le temps de parole dont ils disposent lors de cette deuxième lecture. C’est compréhensible, c’est le jeu de la démocratie. Mais ce fonctionnement démocratique suppose également que soit reconnu un principe simple, celui de l’expression majoritaire, qui aboutira mardi au vote de ce texte.

La responsabilité consiste donc à ne pas faire durer inutilement les débats, et à prendre de la hauteur. Prendre de la hauteur c’est à mon sens revenir à des questions simples : de quoi parlons-nous, et avant tout de qui ?


Ils s’appellent Émilien et Yohann, Laurent et Donatien, Patrick et Dominique, Stéphane et Laurent, Matthieu et Pascal. Elles s’appellent Jeanne et Sylvie, Laure et Catherine, Bérénice et Claire, Anne et Laurence, Sarah et Karine.

Je sais, les citer ainsi m’expose à la raillerie. J’entends déjà les moqueries. Je les assume, parce que je ne veux jamais oublier que, derrière les décisions que nous prenons ici, entre les lignes des textes de loi que nous débattons, amendons, adoptons, c’est la vie d’hommes et de femmes qui est en jeu. Celles et ceux que je citais à l’instant, vous ne connaissez pas leurs visages, pas plus que moi parfois : je les ai rencontrés dans ma circonscription, mais je les connais aussi par les lettres qu’ils m’ont adressées, par les contacts qu’ils ont établis avec mes collaborateurs, par les messages échangés sur les réseaux sociaux.


Ils n’écument pas les plateaux de télévision à la recherche d’une gloire éphémère. Dans la rue, ils et elles se font discrets car les discours, mais aussi les actes qui se sont multipliés à leur égard, aux derniers jours de nos débats, leur inspirent une peur malheureusement légitime. Ils s’aiment, elles s’aiment, et elles et ils aspirent à accéder à un droit qui n’enlèvera aucun droit à personne, mais qui leur permettra de se sentir pleinement citoyennes et citoyens de ce pays. Et on voudrait nous faire croire que l’exercice de ce droit, qui leur serait déjà acquis s’ils étaient citoyens belges, espagnols, néerlandais, uruguayens…


Oui, on voudrait nous faire croire que leur droit de se marier menacerait les fondements de notre civilisation ! Qui peut y croire sérieusement ? Alors, à côté de ceux qui leur refusent toute union au motif qu’elle serait contre nature, ce qui constitue la triste manifestation d’une homophobie ordinaire, nous avons entendu celles et ceux qui plaident pour une union civile.

Mais quelle union civile ? Celle qui donnerait exactement le même statut et les mêmes droits que ceux reconnus par le mariage, mais qui n’emploierait pas le même terme selon l’identité sexuelle des conjoints ?


Ce serait le choix de l’hypocrisie. Une union civile qui exclurait un droit, celui de l’adoption ? Ce serait, de nouveau, le choix de l’inégalité, car, oui, le mariage ouvre le droit à l’adoption, ce qui n’est pas la même chose qu’un droit à l’enfant. Un couple homosexuel qui, demain, souhaitera adopter sera soumis aux mêmes évaluations par les services de protection de l’enfance qu’un couple hétérosexuel. La seule différence avec la situation actuelle, c’est que l’identité sexuelle des parents adoptifs ne sera plus un critère d’exclusion de la demande formulée.


Nous avons entendu les protestations de ceux qui nous ont dit que notre décision allait conduire a une inégalité entre ces enfants adoptés, puisque certains auront un papa et une maman, d’autres deux papas ou deux mamans. Outre le fait qu’il n’y a plus de modèle indépassable de la vie familiale, outre le fait que le droit reconnu aux célibataires d’adopter est une réalité qui crée déjà des situations différentes, il y a, à mon sens, un autre argument qui fait tomber l’objection. Cet argument, encore une fois, n’est pas le fruit d’une construction intellectuelle ou d’un débat théorique.


Elles et ils s’appellent Thomas, Ludivine, Samuel, Alix, Tom ou Éva. Certains sont les enfants de ces couples dont je vous parlais à l’instant, des enfants qui, pas plus que des enfants noirs élevés par des couples blancs, ne croient ou ne croiront que leurs parents adoptifs sont leurs parents biologiques, des enfants élevés dans des familles homoparentales aimantes. Par notre vote sur ce texte, ces enfants verront leur situation enfin reconnue par la loi.


Voilà à mes yeux l’essentiel, voilà ce dont il s’agit. Je vous le dis, mes chers collègues : pour la jeune parlementaire que je suis, jeune dans la fonction, mais également une femme qui a vécu, qui est mère et grand-mère, ce débat aura souvent été une épreuve. J’ai entendu des arguments qui m’ont choquée, des propos qui m’ont révoltée. Je sais qu’ils ont fait du mal à celles et ceux que j’ai cités tout à l’heure.

 

Dans quelques années quand nous ne serons plus parlementaires, lorsque nous repenserons à ce débat et au vote de ce texte, de quoi nous souviendrons nous ? Des propos excessifs? Des arguments choquants? Des manifestations de rue ? De la traque que nous aurons parfois subie ? Je ne le pense pas. Parce qu’entre-temps nous aurons assisté à des mariages, des mariages qui ne seront pas plus homosexuels que ne sont hétérosexuels les mariages que nous célébrons aujourd’hui. Des mariages, tout simplement. Parce qu’entre-temps nous aurons joué avec les enfants de ces couples, des enfants qui ne seront pas des enfants de couples homosexuels, mais des enfants, tout simplement. Nous aurons partagé leurs joies, les mêmes que celles de toutes les familles reconnues aujourd’hui par la loi.

Et, s’il est une satisfaction, une fierté même, que nous pourrons tirer de notre participation à l’élaboration de la loi de la République, une seule, ce n’est pas dans les journaux, dans les comptes rendus des débats ou dans les sondages de popularité que nous la retrouverons, non, c’est ailleurs : dans la vie. 

 


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