“Un vote de confiance critique, conditionnel, vigilant”.

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Cher-e-s collègues,

Nous ne sommes pas réunis aujourd’hui par hasard, monsieur le Premier ministre.

Nous avons bien ressenti le ton empreint de gravité de votre déclaration de politique générale, à l’image de la gravité de la situation en France.

Nous en sommes là parce que les Français, à l’occasion des élections municipales, ont fait passer un message. Et ce message demande à être entendu et médité, sur tous les bancs de cet hémicycle.

Ces élections municipales, au-delà du caractère local de chacun des scrutins, ont traduit en premier lieu une grande défiance envers la vie et le personnel politiques à travers un taux de participation historiquement bas et une croissance du vote blanc dans de nombreuses communes.

Elles ont vu l’électorat de droite se mobiliser, et se mobiliser pour une droite sous l’influence d’une extrême droite qui se renforce.

Les municipales ont mis en évidence un électorat de gauche déboussolé et déçu de la politique gouvernementale, qui a lourdement - et parfois injustement au regard de leur action locale- sanctionné les représentants de la majorité parlementaire, et singulièrement le principal parti de la majorité présidentielle.

Ces municipales ont enfin marqué –c’est pour nous le seul motif de satisfaction- un retour de l'écologie par les urnes avec l'excellent résultat des listes écologistes là où elles étaient présentes au premier tour et même au second.

Mais pour la majorité dans son ensemble, elles marquent bel et bien une lourde défaite.

Oui, monsieur le premier ministre, c’est cette situation politique particulière, cette défiance exprimée, qui font que nous sommes ici aujourd’hui à débattre de la confiance à accorder, ou non, à votre gouvernement.

Les député-e-s écologistes sont dans la majorité.

Nous y sommes, car ce sont les électrices et les électeurs qui, il y a deux ans, nous y ont placés.

Ils nous ont élus, nous écologistes, mais aussi vous socialistes, vous radicaux de gauche, pour mettre en œuvre ensemble un projet : le projet présidentiel que nous avions soutenus et que nous nous sommes engagés à réaliser ensemble.

Cette majorité, nous y sommes, et d’ailleurs, nous l’avons encore constaté lors des dernières élections municipales, sans les écologistes, il n’est pas de majorité à gauche possible en France.

Cette majorité qui est notre bien commun, qui procède de la volonté de nos concitoyens, c’est au Président de la République, dans la logique de nos institutions, qu’il convient de la faire vivre et de l’entretenir.

Cela suppose une méthode de travail basée sur le respect commun et une collaboration parlementaire de tous les instants.

Cela suppose que soient réunies les conditions pour que les orientations choisies par les Français en mai 2012 soient effectivement mises en œuvre.

Reconnaissons que les institutions de la 5è république, telles qu’elles sont pratiquées – et telles qu’elles continuent de l’être – rendent plus que malaisée cette pratique d’une démocratie parlementaire qui devrait constituer pour la gauche de cette assemblée une préoccupation constante.

Il est assez désolant de voir la classe politique française citer régulièrement en exemple l’Allemagne, dans laquelle un accord de gouvernement fait l’objet de deux mois de négociations publiques et transparentes, et de ne jamais vouloir en tirer les conséquences quant au fonctionnement de notre propre démocratie. En France, la désignation du premier ministre demeure la prérogative d’un seul homme, le Président de la République. La composition d’une nouvelle équipe gouvernementale donne l’impression d’être un casting construit en quelques heures.

Qui peut sérieusement croire qu’il soit possible d’envisager les inflexions indispensables à apporter à une politique – et il en faut des inflexions – en si peu de temps ?

Ces conditions ne sont pas propices à l’avènement d’une véritable culture de coalition et de majorités bâties sur le programme d’action et les projets communs.

Le projet, parlons-en : je le disais en introduction, notre projet commun, c’est celui que le président de la République avait présenté et fait adopter par les Français lors de son élection.

C’est sur la base de ces engagements que chacune et chacun des député-e-s de la majorité a été élu-e.

Avons-nous assez fortement, assez clairement, assez fidèlement mis ce projet en œuvre depuis deux ans ? Celles et ceux qui avaient élu François Hollande en 2012, qu’ils soient socialistes, écologistes, centristes ou de la gauche de la gauche comme on dit, ont répondu à leur manière les deux derniers dimanches de mars.

Et leurs réponses convergent : ils ne se retrouvent pas dans la politique gouvernementale menée jusqu’ici sous l’autorité du Président de la République. Et c’est donc de sa réorientation qu’il convient que nous débattions aujourd’hui et non des personnes choisies pour conduire la politique gouvernementale.

Depuis deux ans, il y avait des ministres écologistes au gouvernement. Elle et il ont travaillé avec courage et ont fait adopter des textes qui ont profondément réorienté la politique dans leurs domaines de compétences, comme nous nous y étions ensemble engagés. Je tiens, au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe écologiste, à saluer leur action au gouvernement pendant ces 22 mois.

De même, je tiens à saluer l’engagement désintéressé et le courage déployés par Jean-Marc Ayrault dans le redressement entamé depuis deux ans.

Deux années pendant lesquelles les député-e-s écologistes ont apporté leur soutien au gouvernement, lors du vote de confiance comme lors des votes budgétaires.

Mais depuis deux ans, nous avons également à de multiples reprises tiré la sonnette d’alarme.

Nous nous sommes fait entendre, à défaut d’avoir été écoutés, lorsque les lobbies semblaient prendre le pas sur la volonté des ministres de l’écologie successifs de mettre concrètement en œuvre la transition énergétique annoncée par François Hollande.

Nous nous sommes fait entendre, à défaut d’avoir été écoutés, lorsque l’orthodoxie budgétaire du TSCG faisait adopter une trajectoire de réduction des déficits que nous jugions irréaliste et contreproductive.

La réalité des 22 mois écoulés nous a malheureusement donné raison. Regardons aujourd’hui autour de nous : l’Italie de Matteo Renzi fait cette analyse. Et force est de constater que l’évolution des pays de la zone Euro ne plaide pas pour la poursuite de cette logique austéritaire qui prévaut à Bruxelles et qui risque, si nous n’y prenons garde, d’emporter avec elle une partie du rêve et du projet européen.

La politique menée par la commission Barroso est catastrophique, pour l’économie et pour l’emploi.

Nous nous sommes fait entendre, à défaut d’avoir été écoutés, lorsque le CICE a été adopté sans conditions ni contreparties.

Nous nous sommes fait entendre, à défaut d’avoir été écoutés, lorsque la réforme de la fiscalité – et singulièrement de la fiscalité des ménages- semblait remise aux calendes grecques en même temps que de nombreux impôts et taxes augmentaient.

Nous nous sommes fait entendre, à défaut d’avoir été écoutés, lorsque de recul en renoncement, des mesures sociétales concrètes, attendues par de nombreuses familles faisaient les frais de concessions à certaines manifestations.

Oui, nous avons à de multiples reprises fait part de nos doutes, ou de nos insatisfactions, voire de notre opposition à certains choix. Nous avons parfois remporté des arbitrages, nous en avons perdu. Cela n’a pas remis en cause la solidarité majoritaire.

Il est clair, monsieur le premier ministre, que le résultat des élections municipales nous amène plutôt à penser que ces objections, que ces propositions écologistes, qui étaient également partagées sur d’autres bancs de la majorité, auraient pu mériter plus d’attention, et que la majorité aurait gagné à mieux les entendre.

Parce qu’être dans la majorité n’est pas suivre aveuglément, ce n’est pas accepter sans discussion.

Lorsque nous nous sommes rencontrés la semaine dernière, monsieur le premier ministre, nous avons échangé.

Nous vous avons rappelé les priorités qui devraient être, à nos yeux, celles de votre gouvernement :

Nous vous avons parlé du nécessaire desserrement d’une orthodoxie budgétaire irréaliste et contreproductive, et à engager des réformes de structures plutôt qui peuvent générer des économies, plutôt que de s’acharner à vouloir réduire de façon aveugle et mécanique les budgets de l’Etat, des collectivités locales et de la sécurité sociale. Notre inquiétude, qui est celle des Français, demeure après vos annonces d’aujourd’hui sur ce point.

Nous vous avons rappelé qu’à nos yeux, le pacte de responsabilité ne peut être un tournant déguisé de stratégie économique, mais bien l’approfondissement d’une vraie démarche de négociation sociale.

Cela n’aura de sens que si cela marque un double mouvement : la relance économique par les entreprises et les contreparties pour les salariés, notamment en termes d’emplois.

Les mesures que vous venez d’égrainer seront débattues au Parlement. Cela constituera un rendez-vous important des semaines à venir.

Nous avons rappelé l’urgence de sortir des atermoiements sur la transition énergétique, qui constitue un levier incontournable pour développer l’emploi dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie. L’urgence de réorienter nos investissements publics en matière de transports, notamment en abandonnant des projets inutiles comme le canal Seine-Nord, le tunnel Lyon-Turin ou encore l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Monsieur le premier ministre, vous avez exprimé clairement les objectifs de votre gouvernement sur la transition énergétique. Il vous faudra de la détermination et vous aurez notre soutien si vous allez au bout dans le calendrier que vous nous avez annoncé.

Nous avons demandé des précisions sur la fiscalité, qui ne doit pas être augmentée mais réformée pour plus de justice sociale et d’efficacité écologique.

Vous avez également parlé une mesure pour les petits salaires. C’est un petit signe, mais c’est un bon signe.

Nous vous avons rappelé notre volonté de mettre en œuvre la démocratisation de nos institutions annoncée par le président de la république, qui passe par une réelle décentralisation, par une réelle simplification territoriale, par un renforcement du rôle du parlement, et par de nouvelles règles de représentativité dans nos assemblées.

Vous avez parlé du millefeuille territorial. Nous vous soutiendrons. Vous en aurez besoin parce qu’entre chaque feuille du millefeuille, se loge une couche d’immobilisme et de conservatisme.

Nous avons rappelé que votre gouvernement aurait la responsabilité essentielle de préparer et d’assurer la réussite de la conférence environnementale de Paris en 2015. La lutte contre le réchauffement climatique est une urgence qui doit être une priorité de la France et de sa démocratie.

Vous avez mis des propositions sur la table. Elles étaient sérieuses.

Mais étaient-elles de nature au regard de ce qui s’est passé depuis deux ans, au point de voir des ministres écologistes participer au gouvernement ?

Après discussion – publique et transparente, oui, c’est notre marque de fabrique, à nous écologistes- mais aussi collective, notre mouvement a jugé que non.

Il n’y a donc plus d’écologistes au gouvernement. Mais les écologistes sont bel et bien dans la majorité, là où les électeurs et les électrices nous ont placés en juin 2012.

Et lorsque vous posez aujourd’hui la question de confiance, au-delà du côté formel d’une discussion de tous les groupes politiques, c’est bien à la majorité et à elle-seule que vous la posez.

Le discours poussif, caricatural et politcien de l’UMP démontre à quel point nous sommes loin de ces régimes parlementaires où les discussions de confiance se font projet contre projet, contrat de gouvernement contre contrat de gouvernement.

La droite n’a pas de projet – sauf à considérer les délirants 130 milliards d’économies, jamais précisés et du reste jamais mis en place lorsqu’elle était aux responsabilités pendant dix ans.

Non, en réalité, chacun en a bien conscience, le débat d’aujourd’hui est d’abord un débat qui concerne la majorité dans son ensemble.

Alors depuis la semaine dernière, et une fois évacuée la question de la participation gouvernementale des écologistes, nous nous sommes revus, monsieur le Premier ministre.

Et aujourd’hui, nous vous avons écouté avec attention.

Nous avons noté les engagements que vous venez de prendre devant la représentation nationale. Certains d’entre-eux sont précis et datés.

Nous avons entendu votre appel à une nouvelle pratique législative réellement collaborative au sein de la majorité.

Oui, nous avons entendu les mots. Et nous attendons désormais les actes.

Au-delà de l’exercice du vote de confiance qui nous occupe aujourd’hui, monsieur le Premier Ministre, la confiance de votre majorité, c’est sur chacun des textes que vous soumettrez au Parlement qu’il vous faudra la bâtir.

Vous la gagnerez, cette confiance, sur votre capacité, celle du gouvernement, et celle du Président de la République, à résister au poids des lobbies économiques, à la tentation des demi-mesures, au conformisme qui ont trop pesé depuis deux ans.

L’écologie suppose le changement. Et le changement suppose clarté et détermination.

Monsieur le premier ministre, ce n’est pas en fonction de la présence ou non de leurs représentants au gouvernement que les écologistes souhaitent ou non la réussite d’un gouvernement.

Nous souhaitons votre réussite, parce que nous souhaitons la réussite de la France.

C’est forts de nos convictions et de ce sens des responsabilités qu’une majorité des député-e-s de notre groupe votera tout à l’heure la confiance à votre gouvernement, sur la base des éléments que vous nous avez exposés cet après-midi.

Ce vote de confiance est critique, il est conditionnel, il sera vigilant. Elle demandera à être confirmée au fil des textes et au fil du temps, le premier rendez-vous essentiel étant celui de la transition énergétique.

À la confiance formelle, à la confiance d’un jour, nous préférons la confiance réelle, inscrite et construite dans la durée.

Parce que la confiance, ça se construit.

Parce que la confiance, et au-delà de cet hémicycle, la confiance des Français, ça se mérite dans la durée, et ça s’entretient par des actes.

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