François de Rugy : « Sur la transparence, nous ne lâcherons rien ! »

3 QUESTIONS À FRANCOIS DE RUGY

 

Quel jugement portez-vous sur le texte gouvernemental sur la transparence financière de la vie politique ?

 

Si ce texte n’était pas la conséquence directe de la détestable affaire Cahuzac, les écologistes pourraient dire qu’ils se réjouissent… Car cela fait des années que nous portons dans le débat ces questions trop souvent occultées et qui nourrissent le feuilleton des affaires : la transparence sur la situation personnelle des élus, la lutte contre les conflits d’intérêts et l’influence de lobbies, la nécessité de sanctions réellement dissuasives qui disqualifient les fraudeurs, la clarification du financement des partis… Nous avions déposé et défendu une proposition de loi en 2011, rejetée par la majorité UMP d’alors. Nous avons redéposé une proposition en avril dernier, pour fournir une « boite à outils législative » sur ces sujets. Enfin, l’Assemblée nationale est saisie de ces questions pour leur apporter des réponses !

 

Le texte est-il à la hauteur des enjeux ?

 

Le texte gouvernemental était améliorable, mais il faut reconnaître qu’il faisait preuve d’audace. Le président de la République avait pris des engagements forts devant les Français. L’ensemble du gouvernement avait donné l’exemple avec la publicité des déclarations de patrimoines faites lors de l’entrée en fonction des ministres. Bref, les choses allaient dans le bon sens. Et en commission, nous avons réussi à faire adopter des amendements essentiels sur le financement des partis, notamment celui qui s’attaque enfin aux micropartis croupions. C’est dire que la contre offensive sur la question des patrimoines menée par une partie du groupe socialiste sous le regard mi-amusé mi-soulagé de la droite est réellement déplorable. Elle a produit ses fruits, si j’ose dire : sur le terrain, les citoyens expriment une colère légitime. Nous avons bien l’intention de mettre à profit le débat en séance pour remettre ces questions sur la table…

 

Qu’attendez-vous des débats législatifs ?

 

Des améliorations techniques, des précisions, et des compléments – notamment sur la question des collaborateurs parlementaires ou sur les lobbies. Mais pas seulement. Le sens de mon intervention en discussion générale, c’était, au lendemain de la législative de Villeneuve-sur-Lot, d’appeler la majorité à se reprendre, et à un sursaut éthique.

Parce qu’il serait tout de même incroyable que ce texte, qui constitue une vraie avancée démocratique, soit assimilé à un recul ! En période de crise, nous ne pouvons pas nous permettre de traiter à la légère ces questions : c’est la défiance et le doute citoyens qui constituent les menaces les plus mortifères pour la démocratie.

 

>> lire l’intervention de François de Rugy


Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Monsieur le rapporteur,
Chers collègues,

Soyons en conscients : les Françaises et les Français nous regardent.
Et soyons lucides : dans leur immense majorité, les Françaises et les Français sont dubitatifs sur l’issue de nos travaux.
Ce projet de loi n’est pas le premier texte que notre Assemblée ait été amenée à examiner sur le sujet de la transparence financière de la vie politique et la lutte contre les conflits d’intérêts. J’ai souvenir d’avoir, ici même, il y a deux ans à peine, porté une proposition de loi écologiste sur ces questions. Déjà, l’UMP s’y était opposée : mes chers  collègues, sur ce point au moins, nous vous devons de reconnaître votre constance. Mais toute la gauche, alors, avait apporté son soutien au texte que les écologistes proposaient. La moindre des choses serait que le dispositif législatif que nous adopterons à l’issue de nos débats ne soit pas en retrait sur ce que nous proposions alors…
Car depuis 2011, d’affaires désolantes en affaires révoltantes, l’actualité s’est chargée de nous rappeler l’impérieuse nécessité d’adapter notre législation, et nos échelles de sanctions à une délinquance d’autant plus insupportable qu’elle ne se contente pas de détourner de l’argent mais qu’elle sape, en plus, les fondements de notre République.
Je veux parler de cette confiance des citoyens dans leurs représentants, confiance sans laquelle il n’y a pas d’action publique légitime.
Pour ceux qui douteraient encore de cette nécessité d’agir sans tergiverser, l’actualité électorale a apporté une réponse sans appel, hier, à Villeneuve sur Lot. Au-delà de l’expression d’une légitime impatience des Français devant la persistance de la crise – qui avait caractérisé les précédentes élections partielles – et de la difficulté inhérente aux scrutins intermédiaires pour toute majorité, la sanction électorale qui a frappé la majorité, mais qui n’a pas non plus épargné l’opposition, est ici particulièrement lourde.
C’est précisément parce que l’ombre de Jérôme Cahuzac a plané sur ce scrutin qu’il convient d’en tirer toutes les conséquences.
En refusant de voter pour les candidats de la majorité parlementaire, voire en reportant leurs suffrages sur un candidat extrémiste, les électrices et électeurs de la majorité présidentielle ont clairement signifié que la réponse apportée au séisme éthique de l’affaire Cahuzac n’était pas, jusqu’ici, à la hauteur de leurs attentes légitimes.
Lorsque la participation baisse d’un scrutin à l’autre, tandis que les suffrages blancs ou nuls doublent et que les extrêmes explosent leur score, c’est qu’il y a un message. Un message que nous devons entendre, car si nous n’entendons pas celui-là, nous n’en entendrons jamais aucun.
Cet échec est lourd, et il est collectif.  C’est collectivement que nous le surmonterons et que nous lui apporterons les réponses adaptées.
Je tiens à saluer le texte du gouvernement, qui constitue incontestablement la base la plus audacieuse jamais proposée par un pouvoir en place sur ces questions de transparence et de lutte contre les conflits d’intérêts.
A la différence des épisodes passés de ce terrible feuilleton des affaires, sachons gré au président de la République et au premier ministre de n’avoir pas créé une énième commission chargée de formuler des propositions concrètes, mais d’avoir su puiser dans le travail des commissions précédentes un grand nombre des dispositions contenues dans le projet de loi.
Ces dispositions constituent aux yeux des écologistes un point de départ pour nos travaux.
La moindre des choses, encore une fois, serait qu’elles ne sortent pas édulcorées de nos débats.
Nous aurons donc l’occasion, dans les jours à venir, de travailler sur la base d’un texte adopté en commission qui mérite à notre sens des modifications profondes pour réellement être à la hauteur de la tâche.
Comment ne pas voir que le spectacle donné ces dernières semaines en commission a été dévastateur ?
Comment ne pas comprendre le sens du message des électeurs de Villeneuve sur Lot – et singulièrement de ceux qui ne se sont pas déplacé ou sont venus déposer un bulletin blanc dans l’urne ? Ce message, il nous oblige.
Les avancées et améliorations au texte gouvernemental sur lesquelles nous avons travaillé ensemble et qui sont réelles ont été gommées dans l’opinion publique par les reculs et les louvoiements autour d’engagements forts pourtant annoncés par le président de la République.
Oui, nous devrons revenir sur la question de la publication de nos patrimoines, qui n’est pas close, loin de là. Si la fréquentation de nos circonscriptions ne suffit pas à nous en convaincre, regardons les enquêtes d’opinion : en avril dernier, suite à l’affaire Cahuzac, 63% des personnes interrogées estimaient que le projet de loi sur le patrimoine des élus était « une mesure nécessaire pour garantir la transparence dans une démocratie moderne » contre 36 % pour qui elle constituait « une dérive malsaine ressemblant à du voyeurisme ».
Depuis cette date, on a assisté à une offensive d’un certain nombre d’entre nous pour revenir sur ce principe de publication. Hier, la presse régionale publiait une enquête qui indique que 50 % des Français souhaitent que le patrimoine des députés et sénateurs soit publié. Seuls, 31 % préfèreraient qu’il soit consultable en préfecture mais pas publié. Il n’en reste plus que 19 % d’attachés au respect de la confidentialité absolue et qui ne veulent ni publication, ni consultation.
Comment mieux illustrer le fait que les efforts déployés pour assurer la non-publication de nos patrimoines, que les arguments basés sur le concept curieux de «démocratie paparazzi »n’ont en rien convaincu nos compatriotes ?
La publication des patrimoines ne règle pas à elle seule les questions posées ? Certes. Mais elle est, aux yeux des Français, un minimum sans lequel nous ne pourrons pas produire un dispositif crédible. C’est pourquoi sur cette question, comme sur d’autres, dans ce débat, nous ne lâcherons rien.
Car cette question n’est qu’une partie émergée d’un iceberg sur lequel notre République risque de s’échouer si nous ne prenons garde : je veux parler de l’absence de transparence.
Les Français ne nous demandent pas de nous mettre à nu. Ils nous demandent de leur assurer, par la preuve, que l’exercice d’une fonction politique n’est pas l’occasion d’un enrichissement indu, et de leur rendre compte de l’utilisation des moyens publics mis à notre disposition pour exercer nos mandats.
Ce sera le sens des amendements que nous défendrons dans ce débat qui constitue un vrai test pour la crédibilité de la représentation nationale.
Outre la transparence et la publicité de la déclaration de patrimoine, nous proposerons également que cette transparence et cette publicité concernent la réserve parlementaire, la liste et les fonctions des collaborateurs parlementaires ou encore la déclaration de revenus tirés des mandats locaux.
La transparence ne vaut rien si elle n’est pas accompagnée d’un contrôle réel des déclarations et de sanctions dissuasives. Aux avancées réelles du texte issu de la commission, nous proposerons donc d’adjoindre un certain nombre de dispositions, parmi lesquelles l’alignement du  régime des inégibilités des parlementaires aux députés européens, le renforcement des pouvoirs de la Haute autorité ainsi que l’alourdissement de 5 à 10 ans de la peine complémentaire d’inéligibilité pour les délits à caractère financier.
Transparence, contrôle effectif, sanctions… Voilà pour éviter les cas d’enrichissements indus ou de détournement de l’usage des moyens mis à disposition des élus.
Mais nous ne devons pas oublier que cette loi n’est pas une loi Cahuzac.
Elle était déjà indispensable avant.
Parce que dans les rapports à moraliser entre argent et politique, il y a les questions de financement de la vie politique. Nous nous réjouissons des avancées obtenues en commission : le plafonnement des dons des particuliers rendra notamment impossible la démultiplication des financements via des micropartis croupions. Mais nous vous proposerons d’aller plus loin, en assurant la publicité de l’identité des donateurs auteurs de dons supérieurs à 3000 €, en renforçant les sanctions pour ceux qui ne respectent pas la législation sur les dons aux partis politiques et en proscrivant clairement l’utilisation de frais de mandat pour financer une campagne électorale.
Transparence sur la situation personnelle des élus, clarification des financements politiques, il nous faut également assurer une étanchéité forte envers les groupes de pression. Le lobbying, tout le monde en parle. Mais qui s’en occupe vraiment ? Nous avons là l’occasion de le faire, enfin. C’est pourquoi nous vous proposerons de confier à la Haute autorité la tenue d’un registre des représentants d’intérêts, et que nous porterons l’exigence d’une vraie indépendance des parlementaires, par le plafonnement à la moitié de l’indemnité parlementaire de base des rémunérations qui résultent de l’exercice d’une activité lucrative et par l’élargissement des incompatibilités professionnelles.
Monsieur le ministre, sur cette question de la transparence financière de la vie politique, les député-e-s écologistes sont aux côtés du gouvernement.
Mes chers collègues – et singulièrement chers collègues de la majorité – écoutons le message de Villeneuve, écoutons ce qu’exigent les Français.
Comme l’immense majorité d’entre nous, j’ai été estomaqué par la désolante affaire Cahuzac, comme je l’avais été par les précédentes.
Estomaqué et blessé, car c’est l’ensemble des élus qui s’est trouvé mis en accusation, dans le pire des contextes : un contexte de crise économique qui favorise toujours, l’Histoire l’a démontré douloureusement, l’antiparlementarisme et la remise en cause des institutions démocratiques.
Mais au-delà de fautes individuelles, de systèmes circonscrits parfois, comment ne pas voir qu’il y a un dispositif législatif défaillant. Un dispositif qui, par son imprécision, ses omissions, son hypocrisie parfois, a facilité la tâche des tricheurs et a rendu possibles les fraudes ?
Si nous ne prenons pas à bras le corps ces questions, si nous ne savons pas écouter la colère citoyenne, et y répondre, qui pourrait reprocher aux Français de voir dans cette insuffisance de la complicité ?
Ce projet de loi peut être salvateur, à condition d’être enrichi et précisé.
Ce sera le sens de la participation des écologistes à nos travaux.

Écrire commentaire

Commentaires : 0