FRANCOIS DE RUGY SUR LE BUDGET EUROPEEN : « LA SOMME DE TOUS LES EGOISMES NATIONAUX ! »

Appelé à exprimer le sentiment des députés écologistes sur l’accord budgétaire européen, François de Rugy n’a pas caché l’insatisfaction des écologistes sur les résultats de la négociation menée par M. Van Rompuy et validée par les chefs d’Etats et de gouvernements des 27.

 

 » Je ne peux donc pas vous dire, et personne ici ne peut en juger réellement, si un autre compromis, dans de telles conditions d’élaboration, était possible, a-t-il déclaré. Mais il est à nos yeux une certitude : ce compromis est mauvais, car il n’est que la somme de tous les égoïsmes nationaux, au premier rang desquels il faut citer l’intransigeance britannique.

 

 » Les députés écologistes français comptent sur les parlementaires européens pour dire non, et pour contraindre les gouvernements les plus récalcitrants (…) à se dessaisir de ce pouvoir d’élaboration du budget européen pour engager enfin le saut fédéral. »

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La négociation sur les prévisions budgétaires européennes, reconnaissons-le, s’annonçait sous les pires auspices. En décembre 2010, un courrier signé notamment par Madame Merkel et messieurs Sarkozy et Cameron avait fixé un cap aussi clair que désespérant : en contenant les crédits d’engagement futurs à leur niveau de 2013 corrigé d’un taux inférieur à l’inflation, les chefs d’Etat et de gouvernement d’alors fixaient à l’Europe des objectifs budgétaires dont, pour la plupart, et au premier chef le gouvernement français d’alors, s’exonéraient dans leurs choix domestiques.

 

Le moins qu’on puisse dire de cet objectif est qu’il ne pouvait pas conduire à l’adoption d’une feuille de route budgétaire à la hauteur des enjeux de l’Union.

 

Quels sont ces enjeux, justement ?

 

Les économies européennes ne sont pas sorties de la crise de 2008. Les politiques de contraction budgétaire mises en œuvre pour réduire les déficits et engager le désendettement, quelles qu’en soient la légitimité, produisent des effets dévastateurs sur l’activité économique.

 

Dans un tel contexte, c’est bien de l’Europe, et j’allais dire de l’Europe seule que pouvaient venir des mesures contracycliques fortes, susceptibles de redonner de l’oxygène un moteur économique en voie d’étouffement.

 

Oui, l’Europe avait des marges de manœuvre, puisque le budget de l’Union ne pèse que 1% du PIB.

 

Oui, l’Europe avait des moyens d’agir, puisque l’Union n’est pas frappée de l’endettement qui caractérise les Etats.

 

Oui, l’Europe avait l’opportunité d’engager des investissements stratégiques, destinés à accompagner les mutations industrielles, à répondre tout à la fois à la crise environnementale et aux défis technologiques qui feront la compétitivité de demain.

 

Mais en fixant des objectifs comptables, en refusant que l’Union soit dotée, à court ou moyen terme, de ressources propres qui lui éviteraient d’avoir à marchander en permanence les contributions des Etats membres, les chefs d’Etat et de gouvernement avaient indiqué dès 2010 un cap qui ressemblait fort à une impasse.  

 

En entrant dans les négociations, Monsieur Van Rompuy se voyait donc fixé un cadre inadapté, presque une gageure, tant les positions des uns et des autres paraissaient éloignées.

Il fallait, pour en sortir, des talents de négociateur hors pair. Et, précisément, reconnaissons-lui cela, négocier, c’est tout ce que Monsieur Van Rompuy sait faire. Au terme d’un numéro de bonneteau où il a agi en bilatéral et pratiqué une série de trocs successifs avec chacun des 27 pays de l’Union, Monsieur Van Rompuy a au final produit une proposition qui constitue la base du compromis adopté il y a quelques jours par les chefs d’Etat et de gouvernement.

 

Il y aurait de quoi, nous dit-on, en être soulagés, ce compromis étant « le meilleur possible ».

 

Nous n’étions pas partie prenante, nous parlementaires – et c’est la logique des institutions, je ne dis pas cela pour m’en plaindre – des discussions et des négociations. Je ne peux donc pas vous dire, et personne ici ne peut en juger réellement, si un autre compromis, dans de telles conditions d’élaboration, était possible. Mais il est à nos yeux une certitude : ce compromis est mauvais, car il n’est que la somme de tous les égoïsmes nationaux, au premier rang desquels il faut citer l’intransigeance britannique.

 

J’ai d’ailleurs, au passage, entendu que ce matin notre collègue Copé a salué – je cite – le « diagnostic implacable sur les forces et les faiblesses européennes » dressé par Monsieur Cameron.

 

Lorsqu’on voit les effets des exigences anglaises sur la programmation budgétaire pluriannuelle de l’union, je rêve plutôt qu’un acteur européen ait le courage de se lever et de dire : « David, l’Europe, tu l’aimes ou tu la quittes » !

 

Car je vous le dis au nom de l’ensemble de mes collègues écologistes : si soulagement il devait y avoir devant ces perspectives budgétaires pluriannuelles, ce serait un lâche soulagement.

 

Si nous déplorons – et le mot est faible – la faiblesse de ce budget, ce n’est pas parce que nous serions des afficionados d’une dépense publique transférée au plan européen. Nous constatons en effet avec consternation que, malgré toutes les déclarations en appelant à la raison budgétaire, cette proposition conduit à s’installer dans une perspective de budget qui mènera à un déficit structurel. Curieuse manière de préparer l’avenir…

 

Les dirigeants européens de 2010 avaient prétendu faire le choix de l’austérité pour éviter la dette. La conséquence de cette politique de Gribouille, c’est que les citoyens européens risquent de devoir assumer et l’austérité et la dette.

 

A nos yeux, cet accord pèche sur le mode d’élaboration futur des budgets européens, en ce sens qu’il n’en prévoit aucune modification, sur la structure des investissements projetés – cette question est liée à la précédente-, et sur l’absence de souplesse – alors même qu’une vision pluriannuelle aurait dû permettre cette souplesse et ce pragmatisme.

 

Nous n’avons que peu de temps pour nous exprimer, et sur des sujets aussi ardus et aussi complexes, il est impossible de passer en revue l’ensemble des politiques européennes, leurs financements et les choix opérés. La présidente de la commission, notre collègue Danielle Auroi, l’a en partie fait avant moi. Je me contenterai donc de retenir un seul chiffre, qui illustre pour les écologistes les erreurs stratégiques et politiques contenues dans cette proposition. Ce chiffre, c’est 2,7 milliards, montant du financement retenu pour le projet ITER – que nous combattons depuis longtemps, qui a déjà englouti des sommes folles, dans une logique de dérapage financier qui, pour tout autre projet, soulèverait une légitime indignation, et dont les retombées concrètes en termes de développement économique sont tout sauf avérées.

 

Ces 2,7 milliards, mettons les en perspective : Le soutien à la compétitivité de l’industrie et aux PME est, nous dit-on, l’une des priorités de la stratégie Europe 2020. C’est en effet un enjeu clé, dans la mesure où les PME représentent plus de 67 % des emplois du secteur privé et plus de 58 % du chiffre d’affaires total de l’Union. C’est là que se concentre la source principale de croissance et d’emplois pour les années à venir. C’est là aussi que la crise frappe le plus durement, et que les recherches de financements, d’aide à l’innovation sont les plus compliquées pour les acteurs économiques. Dans la proposition de budget pluriannuel, il est prévu que le budget européen soit abondé à hauteur de 2,2 milliards d’euros au titre du programme pour la compétitivité et les PME, contre 1,3 milliard actuellement. Alors, certes, c’est un effort. Mais 2,2 Milliards d’euros pour les entreprises qui concentrent les deux tiers des emplois privés dans toute l’europe ; 2,7 milliards pour ITER. Cherchez l’erreur…

 

Autre chiffre – et ce sera le dernier : celui de l’aide aux plus défavorisés, le fameux programme européen dont bénéficient les restaus du cœur et les banques alimentaires. Promis à l’extinction par un accord entre gouvernements signé il y a quelques années, celui-ci est sauvé – mais raboté au passage de quelque 500 millions d’euros, et soumis à des conditions d’attribution, notamment en matière d’accompagnement et d’insertion des bénéficiaires, que les organismes auront énormément de mal à remplir. 2,5 milliards d’euros, c’est mieux que rien, certes. Mais 2,5 milliards d’euros pour les plus démunis en Europe, quand on constate la progression galopante de la pauvreté, contre 2,7 millards d’euros pour ITER : encore une fois, cherchez l’erreur…

 

Je pourrais multiplier les exemples. Je pourrais vous parler de la PAC, sauvée au prix d’une renationalisation rampante de la politique agricole par le biais de la règle des cofinancements, et dont les conditions d’attribution demeurent trop favorables aux gros exploitantes, et dont les objectifs – notamment en termes de santé publique et environnementale, de développement des circuits courts, dont chacun perçoit aujourd’hui l’intérêt – demeurent trop souvent ignorés.

 

Cet accord budgétaire, n’est pas seulement médiocre dans son contenu.

 

Il est absurde dans son fonctionnement : seule, la flexibilité entre les années et entre les catégories de dépenses permettrait d’utiliser au mieux les ressources financières, en anticipant ou en reportant les sommes identifiées pour répondre de la manière la plus efficace aux évolutions économiques qui se font de plus en plus brutales.

 

Le projet ne le prévoit pas.

 

A cela devrait s’ajouter une clause de révision obligatoire, avec vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil pour éviter tout blocage ou tout chantage de la part d’un Etat, qui permettrait de réviser le cadre financier dans deux ou trois ans, pour tenir compte des évolutions encore une fois.

 

Or, ce budget conçu sur 7 ans nous promet de l’austérité pour 7 ans.

 

Les choix opérés sont la conséquence, je l’ai dit, de négociations qui ont porté non seulement sur le niveau des contributions nationales, mais encore sur la poursuite de politiques publiques examinées selon le prisme des intérêts nationaux. C’était la règle du jeu, dira-t-on. Mais c’était aussi l’occasion de proposer une modification de cette règle du jeu pour l’avenir. Comme l’ont rappelé les présidents des quatre principaux groupes politiques au parlement européen, cet accord ne prévoit en rien la mise en place de véritables nouvelles ressources propres pour le budget européen qui viendraient progressivement remplacer le système actuel fondé sur les contributions nationales.

 

Les parlementaires européens – c’est une avancée, saluons-là – se saisissent en ce moment même de l’accord. Ils ont dit, déjà, leurs craintes et leurs déceptions. Pour que ce projet soit adopté, le Parlement européen doit le valider. Je vous le dis ici sans détour : si le texte n’est pas amendé, les députés écologistes français comptent sur les parlementaires européens pour dire non, et pour contraindre les gouvernements les plus récalcitrants – et de ce point de vue, nous ne nous adressons pas à vous, Monsieur le ministre, mais je sais que vous avez en tête l’identité de vos homologues européens auxquels je fais allusion – oui, pour les contraindre à se dessaisir de ce pouvoir d’élaboration du budget européen pour engager enfin le saut fédéral. Un saut fédéral sans lequel nous serons condamnés à revivre, dans l’avenir, de mêmes marchandages inadaptés à un fonctionnement à 27, qui enferment, au final, l’Europe dans des conservatismes et la privent de ses capacités de se projeter dans l’avenir.

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Commentaires : 1
  • #1

    gogo (mardi, 06 août 2013 17:33)

    g