Projet de loi de programmation militaire : L’intervention de François De Rugy
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, nous engageons l’examen de l’actualisation de la loi de programmation militaire, adoptée il y a un peu plus d’un an, à la fin de l’année 2013, et qui court jusqu’en 2019. Nos collègues de droite ont contesté tout à l’heure, comme en commission, l’urgence qui a été déclarée par le gouvernement sur ce texte. Pourtant, qui pourra contester que le vote de cette loi de programmation militaire initiale, la menace qui plane sur notre pays s’est accrue et s’est modifiée ? Qui pourra mettre en doute l’état de saturation des forces armées françaises et le risque de rupture capacitaire qui les guette ? À l’évidence, personne. Dans ce contexte, deux attitudes étaient donc possibles : contribuer au débat, avec les forces et les moyens qui sont les nôtres – ceux d’un petit groupe. Ou bien, oserai-je dire, déserter, comme l’ont fait en commission nos collègues de l’UMP sauf Frédéric Lefebvre. Notre collègue centriste Philippe Folliot a également participé aux débats. Je pense que cette attitude n’était pas à la hauteur de l’enjeu. Étant donné la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la France, quand on a à examiner une actualisation de la loi de programmation militaire, je crois que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, quelle que soit sa sensibilité, il faut essayer de se hisser à la hauteur de la gravité de la situation et des menaces qui pèsent sur la France.
Cette actualisation de la loi de programmation militaire prévoit en premier lieu – et c’est le gros « morceau » de ce projet de loi – des ajustements humains et budgétaires au bénéfice des armées françaises. En commission, j’avais résumé la situation en disant qu’il y avait à la fois un coup de pouce budgétaire, avec 1 milliard d’euros supplémentaires par an, environ, et une pause dans la baisse des effectifs. Quels que soient les choix qui peuvent être faits par ailleurs, c’est parfaitement compréhensible, étant donné la situation actuelle. J’en profite d’ailleurs pour saluer, non seulement l’engagement, mais aussi le dévouement des soldats français qui sont mobilisés sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle. Nous savons que ce n’est pas facile pour eux d’être ainsi mobilisés sur cette tâche, dans des conditions souvent tendues, à la fois en termes de temps de travail et de conditions matérielles. Ils interviennent en complément des forces de police et de gendarmerie qui sont mobilisées dans le cadre du plan Vigipirate. Nous continuons en revanche de penser, monsieur le ministre, et cela ne vous étonnera pas, je pense, que la loi de programmation militaire initiale n’a pas marqué des évolutions assez fortes, ni des choix assez clairs pour adapter l’outil de défense de la France à nos choix stratégiques et diplomatiques qui, eux, ont évolué avec le temps, ce qui est bien normal. Nous ne sommes plus, évidemment, dans la situation de la Guerre froide, encore moins dans la crainte d’une invasion étrangère de notre territoire national par nos voisins. Par ailleurs, nous avons connu, avec la professionnalisation, avec l’armée de métier, une autre évolution majeure. Je le dis à nos collègues de l’UMP, à nos collègues de droite : je n’étais pas député à l’époque, mais c’est le président Jacques Chirac qui a décidé la professionnalisation des armées, et je salue cette décision. Je pense même que l’on retiendra cette décision comme l’un des éléments marquants de son action comme chef de l’État. Je salue cette décision, je le répète, et ce n’est pas parce que nous ne sommes pas du même bord que nous devons jouer des postures d’opposition – et cela vaut aussi pour la situation actuelle.
Je souscris au choix de l’armée de métier. Non seulement j’y souscris, mais je pense qu’il faut en tirer toutes les conséquences, notamment en termes de format des armées. Dès le départ, en effet, cette décision a été prise en vue de réduire le format des armées, en vue d’avoir une armée plus réactive et plus conforme au souhait de la diplomatie française de participer à des interventions lointaines. Et je ne voudrais pas que l’on entretienne la nostalgie, comme certains collègues de droite le font régulièrement, de l’armée de conscrits.
Un jour, c’est M. Xavier Bertrand qui annonce qu’il va déposer une proposition de loi pour rétablir le service militaire, c’est tellement ridicule que j’ignore s’il l’a fait. Un autre jour, on propose d’allonger la durée des journées de préparation à la défense, ou de créer un service civique militaire. Non ! Il faut au contraire aller au bout de la logique de la professionnalisation, qui est une bonne logique pour notre pays. Par ailleurs, il faut tenir compte de la contrainte budgétaire ! Mes chers collègues, on ne va pas faire comme si la contrainte budgétaire existait dans tous les domaines, sauf dans celui-ci. Et il en a toujours été ainsi ! J’ai en mémoire les propos d’un ancien chef d’état-major des armées, qui officiait justement, me semble-t-il, à l’époque où Jacques Chirac était Président de la République. Il nous a parlé, en commission, de ce que l’on appelle, dans l’armée, le syndrome de « l’édredon dans la valise ». La valise, c’est le cadre budgétaire, et il faut faire entrer l’édredon à l’intérieur. Alors, que fait-on ? On a tendance à tasser, à comprimer un peu, et puis il faut bien couper des morceaux, sans quoi cela ne rentre pas. On a toujours fait ainsi : voilà ce qu’il nous a dit. C’est une question de réalisme ! Mes chers collègues de droite, comment vous pouvez prétendre, à longueur de meetings, puisque votre nouveau président de parti ne cesse de faire des meetings, et à longueur d’interventions dans notre assemblée, à dire qu’il faut faire beaucoup plus d’économies budgétaires. Selon les jours, vous dites qu’il faut en faire 100, 120, 130 milliards…et 150 milliards pour les plus optimistes, quand le gouvernement actuel essaie d’en faire 50 milliards. Mais vous nous dites par ailleurs qu’il faut augmenter le budget militaire, qu’il faut l’augmenter, alors même – et vous avez été obligé de le reconnaître du bout des lèvres tout à l’heure – que vous l’avez vous-même réduit, stabilisé, baissé – choisissez le terme qui vous convient – lorsque vous étiez aux responsabilités. Sans doute le syndrome de l’édredon dans la valise…
Il faut que nous soyons cohérents. Je pense qu’il faut rétablir l’équilibre des finances publiques dans notre pays et qu’on ne peut pas continuer à s’endetter. Je le dis au ministre, et aux collègues de tous les groupes : je ne suis pas favorable à cet artifice qui consisterait à sortir les investissements militaires du calcul du déficit budgétaire. Non, il faut être réaliste et cohérent, et appliquer la contrainte budgétaire au budget de la défense. Je comprends aussi la logique du ministre – il l’a toujours exposée très clairement devant notre commission. En tant que ministre de la défense, il défend son budget dans les arbitrages budgétaires, et il y est plutôt bien parvenu depuis trois ans, y compris récemment. Mais la contrainte budgétaire ne disparaîtra pas comme par enchantement.
Yves Fromion. Pourquoi ne pas interrompre les OPEX, alors ?
Mais nous avons déjà parlé des OPEX ! Le ministre vous a répondu que dans le cadre des arbitrages budgétaires, certaines décisions sont allées dans le bon sens. Suivez-nous plutôt, cher collègue, lorsque nous disons qu’il faut donner la priorité à ce type de moyens, mais en faisant des choix. Je vais justement dire un mot de nos propositions. Elles permettraient, sans bouleverser l’équilibre stratégique et technologique de notre défense, de faire des économies pour doter les soldats des moyens et des équipements dont ils ont cruellement besoin.Nous pensons ainsi que l’on peut faire des économies sur le budget de la dissuasion nucléaire, qui est extrêmement lourd – entre 3 et 3,5 milliards d’euros par an – sans nécessairement la supprimer du jour au lendemain, même si philosophiquement, nous avons toujours soutenu les positions légitimes pour le désarmement nucléaire. Mais au delà de ces considérations, d’anciens ministres de la défense et d’anciens militaires aujourd’hui libres de s’exprimer publiquement l’ont dit à de nombreuses reprises : le statu quo en la matière contraint encore davantage les autres aspects de notre défense, ceux que nous utilisons le plus, puisqu’un certain nombre d’interventions ont été décidées par le Président de la République depuis trois ans. J’ai bien compris que le Gouvernement n’avait pas l’intention de revenir sur ces grands choix, mais je le rappelle à l’occasion de ce débat, car ce choix structure toujours les débats sur la défense et son budget. Enfin, nous pensons que ce texte aurait pu être plus précis sur la réaffirmation d’une ambition européenne en matière de défense et de projets communs, certains choix d’équipements et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Malgré ces points de désaccords, qui peuvent être profonds, nous saluons une avancée importante, qui est celle de la reconnaissance du droit des militaires à faire entendre leurs revendications et à défendre leurs intérêts professionnels, avec la création des associations nationales professionnelles militaires. Nous proposerons des amendements sur cette question, mais je salue le fait qu’un amendement ait été adopté en commission, conjointement avec la présidente de la commission et le groupe socialiste, républicain et citoyen. Nous sommes attachés à ce que les associations professionnelles soient interarmes, afin de ne pas enfermer les militaires dans un corporatisme dès le départ, car nous ne pourrions revenir là-dessus. C’est un des points sur lesquels nous serons extrêmement vigilants lors de la discussion. Nous proposerons évidemment d’autres amendements au cours de ces débats, et c’est l’appréciation générale qui structurera notre vote final sur ce projet de loi de programmation militaire actualisée.
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